Chronique

Le fourre-tout de l’intimidation

Alors que s’ouvre ce matin à Québec le forum sur la lutte contre l’intimidation, il semble que le mot n’ait jamais été autant galvaudé, qu’il soit de plus en plus utilisé pour désigner tout et n’importe quoi.

La ministre responsable de la lutte contre l’intimidation, Francine Charbonneau, en parle elle-même comme d’un problème aux contours bien flous dont elle ne connaît pas la solution. « Je ne suis pas certaine que ça passera par une loi, a-t-elle déclaré au Journal de Montréal. J’aimerais par contre qu’on arrive à prendre conscience que de klaxonner une dame dans la rue parce qu’elle traverse trop lentement, ça ne se fait pas. »

Ça ne se fait pas, on est bien d’accord. Mais on a l’impression, en écoutant la ministre, que l’on ne sait plus très bien de quoi on parle quand vient le temps de causer d’intimidation. Mettre dans le même fourre-tout appelé « intimidation » un klaxon impoli et les agressions que subissent certains enfants à l’école ne revient-il pas à banaliser ce qu’ils vivent ?

On peut trouver paradoxal que Gaétan Barrette se pose en porte-étendard de la lutte contre l’intimidation. À sa place, j’hésiterais à lancer la fondation Gaétan Barrette contre l’intimidation. Les commentaires disgracieux et agressifs dont le ministre de la Santé a fait l’objet doivent être condamnés, certes. On devrait s’attaquer aux idées des gens, jamais à leur apparence physique ou à leur différence. Ça vaut pour les ministres comme pour les citoyens, pour les hommes comme pour les femmes. Mais toute insulte n’est pas forcément de l’intimidation. L’intimidation consiste à faire peur à quelqu’un en imposant sa force ou son autorité, souvent par du harcèlement et des menaces. Est-ce bien de cela qu’il s’agit ici ? Ou d’une tentative de récupération d’un combat à la mode ?

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Le forum d’aujourd’hui sur la lutte contre l’intimidation avait été promis par le Parti libéral en campagne électorale. Chose promise, chose due, donc. Personne n’est contre la vertu. Le sujet en est un sérieux si on veut bien l’aborder sérieusement. Mais est-ce le cas ?

On sait aujourd’hui que ce que l’on considérait autrefois comme de simples « chicanes » de cour d’école peut avoir des effets dévastateurs.

On sait que les enfants et les adolescents victimes d’un harcèlement constant risquent plus que les autres de souffrir de dépression, de perte d’estime de soi et de stress post-traumatique.

L’ennui, c’est que même si on sait tout cela, il semble que l’on reste trop souvent en surface du problème, en misant sur la sensibilisation plutôt que sur la prévention.

Adoptée en juin 2012, la loi 56, qui vise à prévenir et combattre l’intimidation et la violence à l’école, proposait de dépasser le stade de la sensibilisation pour enfin agir. Mais là encore, il semble que l’on ait oublié qu’il faut plus que de beaux discours pour réellement faire de la prévention. Il faut des ressources.

La prévention de la violence est un travail à long terme. Il n’y a pas de solutions magiques. Il faut travailler sur les habiletés sociales. Repérer les comportements antisociaux, les comprendre, les désamorcer… Cela prend du temps. Cela prend des moyens.

De façon bien ironique, ceux qui sont les mieux placés dans les écoles pour intervenir en prévention de la violence (travailleurs sociaux, éducateurs spécialisés, psychoéducateurs…) ont les statuts les plus précaires du système d’enseignement. Et ceux qui ont les assises les plus solides sont les autorités policières, qui misent sur la dénonciation, la surveillance et la punition. Comme si on croyait pouvoir ainsi guérir ce que l’on a omis de prévenir.

Ainsi est-on passé d’un extrême à l’autre. Autrefois, l’intimidation était vue comme le résultat de simples disputes de cour d’école qui provoquaient un haussement d’épaules. Aujourd’hui, c’est criminel. Mais se pourrait-il qu’il y ait quelque chose entre les deux ? Se pourrait-il qu’en cours de route, on ait manqué quelques occasions de comprendre et de désamorcer des comportements inadéquats ? Se pourrait-il que l’on ait négligé aussi le rôle fondamental des parents dans ce travail à long terme ?

Au-delà des exercices de consultation qui donnent bonne conscience, un travail de fond s’impose. Malheureusement, dans un contexte d’austérité imposée, on voit mal comment un plan contre l’intimidation qui ne prévoit aucune ressource sur le terrain pourrait tenir ses promesses.

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